La crise en cours met en évidence la fragilité d’un système alimentaire mondialisé, reposant sur une production industrielle et des filières de distribution fortement concentrées autour d’un petit nombre d’entreprises. En Europe, une grande partie de l’alimentation est fournie par ce système, lui-même tributaire des énergies fossiles, de la pétrochimie et fortement soutenu par le contribuable via la Politique Agricole Commune (PAC). L’agence de l’ONU pour l’alimentation e et l’agriculture (FAO) et l’OMC ont signalé un risque de pénurie alimentaire mondiale si la crise du Covid-19 perdure.
A l’inverse, nos filières alimentaires courtes, ancrées localement, basées sur la solidarité mutuelle, s’adaptent rapidement aux troubles que nous traversons. C’est ce que nous observons au sein du Réseau de Groupes d’Achats Solidaires de l’Agriculture Paysanne (Réseau des GASAP). C’est pourquoi nous lançons un appel aux citoyen.nes et aux politiques à soutenir un système alimentaire local, dès aujourd’hui et pour demain.
Les circuits courts démontrent leur résilience face à la crise
Le modèle alimentaire prôné par nos GASAP repose sur l’agriculture paysanne. Il se distingue par la signature d’un contrat social entre les maillons de la filière. Les mangeur.euses s’engagent pour une année et paient à l’avance les paniers qu’elles/ils recevront. Les producteur.rices sont assuré.es d’écouler une partie de leur production sans intermédiaire, et respectent les principes agroécologiques. En principe, les plans de culture sont discutés, tout comme les prix. Mais surtout, un tissu de relations se noue, des échanges humains se mêlent aux échanges économiques. Les savoir-faire se construisent au sein de chaque groupe, au sein du Réseau, et entre producteur.rices et mangeur.euses. Ce système offre une certaine stabilité de chiffre d’affaires pour les uns, et la certitude, pour les autres, de recevoir des produits bio et de saison.
La crise que nous vivons démontre plus que jamais la nécessité de notre modèle, dont il importe à présent d’encourager et de promouvoir la diffusion tant dans une logique de ceintures alimentaires qu’à grande échelle.
Les médias ont relayé le succès soudain de l’approvisionnement en circuit court. Au sein de notre Réseau, nous observons surtout des adaptations rapides du fonctionnement des groupes pour venir en aide aux producteur.rices suite à la fermeture des marchés et de l’horeca. Ainsi, certains GASAP ont décidé de multiplier leurs commandes. D’autres groupes ont acheté 70 paniers supplémentaires ou augmenté la taille de leur panier, et ce en l’espace de quelques jours. Dans d’autres cas, les producteur.rices peuvent bénéficier de commandes d’autres GASAP ou de nouveaux groupes, créés de toutes pièces, pour compenser les pertes ressenties. Enfin, les outils informatiques mis à disposition par le Réseau ont facilité la création de comptoirs de vente en ligne, afin d’organiser des commandes ponctuelles. Outre une résilience écologique, le système des GASAP démontre, dans le contexte actuel, sa résilience sociale et économique.
Un soutien structurel pour les circuits-courts et les producteurs
La solidarité routinière s’est muée en solidarité de crise, efficace et rapide, bénéfique pour une partie de la population et pour les producteurs du Réseau : quasiment aucun d’entre eux n’a subi de baisse d’activités qui n’ait été compensée.
Ces ajustements spontanés n’ont cependant été possibles qu’au terme d’un travail d’une quinzaine d’années de mise en relation et en confiance, fruit du contact direct entre mangeur.euses et producteur.rices. La résilience de notre Réseau est le résultat des expériences que des citoyen.nes motivé.es, mangeur.euses ou producteur.rices, ont accepté de mener, sans incitant financier, sans garantie et, il faut le dire, avec un budget très serré. De même, nos producteur.rices, parce qu’ils produisent sur petites surfaces (entre 1 et 7 hectares), ne reçoivent pas de prime de la PAC1.
La grande distribution, quant à elle, augmente ses marges bénéficiaires sans en faire profiter ni ses salarié.es ni les agriculteur.rices qui la fournissent. La production agricole conventionnelle, déjà perfusée d’aides publiques, s’inquiète des pertes inévitables en raison de l’absence de main-d’œuvre étrangère pour la récolte, et réclame déjà des compensations d’État.
Tandis que paradoxalement, nos producteur.rices risquent de ne pas bénéficier d’aides, car ils auront mieux résisté à la crise grâce au soutien des circuit-courts. Pourtant, plus que jamais, ils ont besoin du soutien public : à défaut d’aide structurelle, ils souffrent d’une grande précarité, habituelle dans le secteur agricole.
Un triple appel
En relayant les pratiques résilientes des circuits courts, et à l’approche de la journée mondiale des luttes paysannes le 17 avril, nous lançons ici un triple appel.
- Un appel aux citoyen.nes à se tourner durablement vers nos modes de consommation alternatifs, locaux et résilients. C’est le moment, c’est la saison des plantations !
- Un appel à accompagner les agriculteur.rices conventionnel.les vers une conversion à des modes de production et de commercialisation plus soutenables et diversifiés.
- Un appel aux pouvoirs publics, pour qu’ils réorientent les budgets dont ils disposent pour engager une profonde transition vers des systèmes alimentaires locaux, de proximité et écologiquement soutenables.
Voici quelques revendications portées par notre Réseau et nos producteur.rices :
- Les paysans doivent pouvoir vivre dignement de leur travail grâce à des prix justes et rémunérateurs, qui tiennent compte de l’ensemble des coûts ; à des statuts et droits sociaux clarifiés ; à des aides publiques équilibrées par rapport aux concurrents industriels.
- À l’échelon européen, la durabilité de la production n’est encore que marginalement prise en compte. Le bio doit être davantage favorisé : en donnant enfin accès aux aides de la PAC aux agriculteur.rices bio sur petites surfaces, et en simplifiant les procédures d’obtention de celles-ci.
- Aux échelons régionaux, il faut soutenir les filières de distribution en circuit court, et en particulier les initiatives solidaires telles que les GASAP, par une politique de subsides structurels, seul moyen d’assurer une pérennité d’actions.
Les systèmes alternatifs que nous construisons avec nos partenaires démontrent leur capacité à encaisser un choc brutal. Les GASAP en sont la preuve. Ces chocs étant amenés à s’intensifier dans le futur, en particulier dans le contexte du changement climatique, il est urgent que les pouvoirs publics soutiennent les paysan.nes locaux.ales par des mesures suffisantes et appropriées. L’agriculture conventionnelle, industrielle, et hyper-spécialisée est une idée qui appartient XXe siècle et devrait y rester. Le XXIe siècle sera paysan et agro-écologique.
#jesoutienslespaysan.nes
#restezchezvousmaispasensilence
Le Réseau des GASAP,
Pour ses 90 groupes, 4000 mangeurs et 35 producteurs.
1.Dont le montant s’élève, pour la période de 2014 à 2020, et pour toute l’Europe, à 408 milliards d’euros.