Chroniques des PRODS : Sous les sols fissurés, la plage ?

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Les sols fissurés, asséchés, assoiffés des champs, révèlent une fois de plus la fragilité de notre modèle agricole face aux dérèglements climatiques. C’est la débrouille. Et aussi l’espoir de préserver la fertilité sous cette croûte de terre de plus en plus dur. Mais cet espoir d’une nouvelle saison productive est mis à mal.

Depuis mars, à Uccle comme ailleurs, il est tombé à peine 30 mm de pluie. Trois centimètres en 80 jours. Du jamais vu depuis 1883 ! Pendant que les pelouses grillent sous nos pieds, les cultures, elles, s’essoufflent.

Météo extrême : la nouvelle normalité ?

Pascal Mormal, météorologue à l’IRM, l’affirme : les trois derniers mois forment une période exceptionnellement sèche, chaude et ensoleillée. Pas une combinaison anodine. Ajoutez des vents asséchant de nord-est, et vous avez tous les ingrédients d’une sécheresse installée… avant même l’été.

On se croirait en 1966 ou 2022, années où sécheresse printanière rima avec été brûlant. Et si 2025 suit ce chemin, les conséquences pourraient être lourdes : pour l’agriculture, la biodiversité… et nos réserves d’eau.

Les années s’enchaînent et les évènements climatiques aussi. En 2024, les pluies extrêmes et l’humidité excessive ; en 2023, une sécheresse intense. On ne va pas tourner autour du pot : les producteur·rices doivent déjà composer avec ces dérèglements. Sécheresse, fortes pluies, re-sécheresse, etc.

Zoom – En 2024, des pertes agricoles massives dues au climat

Dans notre communiqué de juillet 2024, nous alertions sur l’ampleur des dégâts causés par neuf mois de pluie quasi ininterrompue. À Bruxelles et autour, 40 % de pertes en moyenne dans les cultures maraîchères, jusqu’à 75 % dans les ruchers. Les sols asphyxiés, les maladies, les limaces et le froid ont mis à mal tout un pan de l’agriculture durable.

Ce climat extrême alourdit les coûts, réduit les rendements, abîme la qualité et fragilise encore davantage des fermes déjà précaires. Résultat : moindre diversité, hausses de prix, salaires en baisse pour les paysan·nes, et des incertitudes toujours plus grandes sur l’avenir du métier.

Zoom – En 2023, la sécheresse frappait déjà

Dans notre article « Here comes the rain again (ou pas) », publié en 2023, nous constations déjà les effets de la sécheresse sur nos fermes : légumes plus petits, floraisons précoces, choix difficiles entre arrosage coûteux ou paniers allégés. L’eau devenait une ressource sous tension, avec des nappes phréatiques fragilisées et une agriculture industrielle qui les surexploite.

Et même quand la pluie revient, elle est souvent trop brutale : les sols secs n’absorbent plus, les cultures souffrent à nouveau.

Cette année, la bonne nouvelle ? Les nappes phréatiques sont encore bien remplies grâce aux pluies de 2024. Cette année, la mauvaise nouvelle ? Cette réserve ne profite pas directement aux cultures, car l’eau n’est pas directement disponible pour les plantes. 

Cela impacte la réalité des producteur•rices. Lissez plutôt, les témoignages de nos producteur•ices en GASAP qui nous éclairent et révèlent un contraste saisissant : entre aucun impact, de l’inquiétude, et déjà des répercussions. En fil rouge, une incertitude partagée… et cette question cruciale : « Que veut-on manger demain ? Et qui produira cette nourriture ? »

Du côté des champs

Les signes ne trompaient pas : feuilles jaunies voire brunes, plantes asséchées. Autant de symptômes visibles de la sécheresse. Mais chacun•e s’organise avec plus ou moins de difficultés.

À Enghien, Frédéric Jadoul ne tremble pas :

« L’installation d’irrigation est dimensionnée pour couvrir tous les besoins. Les cultures en extérieur sont sur paillage pour limiter les besoins. Donc au final, cela ne change presque rien qu’il fasse sec. »

Une organisation bien pensée, sur un sol limoneux en général favorable aux cultures… et un maraîchage intelligent qui anticipe.

À Anderlecht, Joachim de Meester semble lui aussi garder le cap :

« Pas de soucis majeurs avec la sécheresse pour ma part (pour l’instant). »

Mais le « pour l’instant » raconte l’incertitude qui est là. Il suffit d’un mois de sec supplémentaire et tout peut basculer.

À Senzeilles (Province de Namur), David Duchêne, lui, tire le signal d’alarme :

« Mauvaises levées, croissance ralentie, sols fissurés, irrigation plus fréquente… On doit s’adapter. Couvertures de sol, goutte-à-goutte. Mais il faut aller plus loin. Constituer un fond de réserve, renforcer la communauté autour de la ferme, interpeller les pouvoirs publics. »
« On subit des épisodes extrêmes : sécheresse prolongée ou pluies interminables. C’est une nouvelle normalité. »

Et au nord de BruxellesDavid D’Hondt, éleveur des Moutons Bruxellois ? :

« Prairies cramées. Croissance ralentie. Pas d’eau de récup. J’ai dû acheter du foin pour compléter. »

Le climat change. On change notre modèle agricole ?

Pas besoin d’attendre la fin de l’été pour sentir la crise : l’agriculture prend déjà de plein fouet les conséquences de décennies de dérives productivistes et d’inaction climatique. Les agriculteur•ices qui tiennent debout sont celles et ceux qui ont investi dans l’agroécologie, les paillages, l’irrigation raisonnée, la biodiversité et qui peuvent compter sur une solidarité citoyenne durable – comme celle d’un GASAP, bien sûr. Mais ce n’est pas suffisant !

Soyons claires : la résilience a un coût. Et ce coût ne peut pas reposer uniquement sur les épaules des producteur•ices ni uniquement des citoyen•nes.

C’est ce que rappelle le Farmer Case, cette action juridique inédite d’un agriculteur du Hainaut contre TotalEnergies. Une plainte contre un système, contre une entreprise qui continue d’arroser le feu climatique tout en niant les dégâts sur les champs, les corps, les territoires.

Le 19 novembre, soyons présent•es à Tournai pour soutenir cette action historique.
Et d’ici là, aidons à récolter les 3.000 signatures manquantes pour soutenir cette démarche essentielle : www.thefarmercase.be

Et nous ?

Que peut-on faire, depuis notre cuisine ou dans notre quotidien en ville ou à la campagne ?

Beaucoup, en réalité :

  • Soutenir nos producteur•ices, non pas seulement quand ça va, mais aussi quand ça craque. Proposez-leur un coup de main, organisez un chantier pour planter (des légumes, mais aussi des haies ou des arbres). ;
  • Parler et interroger les producteur•ices : comment ils et elles s’en tirent ? ;
  • Rejoindre ou renforcer un GASAP – parce qu’un GASAP, c’est un groupe solidaire qui permet de pérenniser un système agricole alternatif mais surtout évident, juste et vital : https://gasap.be/carte/ ;
  • Comprendre que l’agroécologie n’est pas un caprice mais une nécessité vitale ;
  • Plaider, voter, relayer, interpeller. Faire du bruit, et de la place, pour les voix paysannes.

Nous ne sommes pas impuissant•es. Chaque geste compte. Mais certains comptent plus que d’autres. Rejoindre un GASAP, c’est un de ceux-là.

Construisons dès aujourd’hui l’alimentation de demain.

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Pour aller plus loin :

🎧 Le podcast « Se préparer déjà à la sécheresse » des Clés de la RTBF vous aide à comprendre cette nouvelle normalité climatique :
https://www.rtbf.be/article/les-cles-se-preparer-deja-a-la-secheresse-11374289

Le procès du Farmer Case (et pourquoi TotalEnergies est dans le viseur) :
https://www.thefarmercase.be

Et pour rejoindre un GASAP :
https://gasap.be/carte/

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